Des millions de particuliers vont bientôt pouvoir changer plus facilement d'assurance de prêt pour leur crédit immobilier. Une nouveauté censée leur permettre de réaliser des milliers d'euros d'économies. Sauf qu'en pratique, ils pourraient devoir payer plus cher. Explications.
Le feuilleton de la réforme de l'assurance emprunteur a semble-t-il enfin trouvé son épilogue. Jeudi, le Parlement a définitivement adopté la proposition de loi portée par la députée Patricia Lemoine (Agir) et soutenue par le gouvernement. En résumé, le texte prévoit la résiliation à tout moment, la suppression sous conditions du questionnaire de santé et la réduction du délai du droit à l'oubli. Trois nouvelles mesures fortes qui ont tout l'air d'un happy end pour les particuliers. « C'est une loi qui va changer la vie de nombreux propriétaires », se félicite Patricia Lemoine. Mais plusieurs experts craignent que les avancées de ce texte viennent à se retourner contre ceux qu'il est censé avantager. Explications.
Changer d'assurance, enfin plus facile
Rendre du pouvoir d'achat aux consommateurs en faisant baisser le coût de l'assurance emprunteur, voici l'argument phare de cette réforme. Les emprunteurs qui n'assurent pas un crédit immobilier auprès de leur banque peuvent espérer économiser de 5 000 à 15 000 euros pour un emprunt de 200 000 euros, d'après l'évaluation citée par les promoteurs de la réforme. Au total, 500 millions d'euros de pouvoir d'achat devraient être redistribués chaque année aux emprunteurs selon l'UFC-Que Choisir.
Quasi-obligatoire, l'assurance du prêt prend en charge tout ou partie des échéances en cas de sinistre (décès, incapacité-invalidité, chômage...). Mais son coût est souvent bien plus élevé que le montant des intérêts du crédit à payer dans la mesure où les taux immobiliers sont au plus bas. Sur le papier, refuser l'assurance de sa banque pour en choisir une moins chère ailleurs - ou avec de meilleures garanties - est possible. Et ce, à tout moment au cours de la première année du prêt, puis ensuite tous les ans à la date anniversaire du contrat.
Mais les banques sont accusées de mettre des bâtons dans les roues de leurs clients en profitant de la complexité de la législation. Résultat, elles détiennent près de 90% de ce marché, qui pèse 7 milliards d'euros de chiffres d'affaires par an, avec une marge estimée à 68% ! Seuls les plus aisés et les plus avertis arrivent à imposer à leur banque le changement d'assurance emprunteur, selon Maël Bernier, porte-parole de Meilleurtaux.
Une situation qui pourrait donc évoluer dès l'entrée en vigueur de la résiliation à tout moment, à partir du 1er juin pour les nouveaux prêts immobiliers, et à compter du 1er septembre pour les emprunteurs qui remboursent déjà leur crédit. Changer d'assurance devrait donc être plus facile qu'aujourd'hui. Mais à quel prix ?
Où sont les économies annoncées ?
Les économies anticipées pour les emprunteurs ne seront peut-être pas toujours au rendez-vous. À l'initiative des sénateurs, le volet santé de la proposition de loi a été musclé. Le questionnaire médical est supprimé pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros par personne (soit 400 000 euros pour un couple) et dont le terme intervient avant le 60e anniversaire de l'emprunteur. « La suppression du questionnaire médical va permettre à ceux qui ont un problème de santé – ou qui en ont eu un ces dernières années - de ne pas subir d'exclusions de garantie ou de surprimes qui viendraient faire augmenter fortement le taux de l'assurance », explique Sandrine Allonier, porte-parole de Vousfinancer.
« On comprend bien l'intention généreuse. Mais il faudra être vigilant aux évolutions de tarifs que cela pourrait entraîner. En effet, il ne faudrait pas que cela conduise à une augmentation des tarifs qui va se répercuter sur tous les emprunteurs », complète Maël Bernier, la directrice de la communication de Meilleurtaux.
Une analyse que partage Pascale Sciacalugua, directrice adjointe du réseau du Crédit Coopératif : « Nous saluons cette décision du Parlement qui va dans le sens de plus d'équité pour les emprunteurs. Cela pourrait d'ailleurs permettre à des personnes qui avaient renoncé à leur achat du fait du surcoût de leur assurance, d'activer à nouveau leur projet d'acquisition. La logique de solidarité globale est le point de départ de cette réforme puisque désormais, le coût de l'assurance emprunteur sera mutualisé pour l'ensemble des clients. A voir si, lors de la mise en place effective de ses mesures l'augmentation du prix de la cotisation individuelle sera ou non indolore pour l'emprunteur. En effet, le “risque” tel que les assureurs l'appréhendent, reste identique mais il sera désormais mutualisé ».
Dans ce contexte, une étude d'Actélior, que s'est procurée MoneyVox, évalue que les primes d'assurances pourraient augmenter entre 3 et 15% selon les acteurs. Le cabinet de conseil s'interroge, entre autres, sur l'effet d'aubaine que pourrait entraîner la fin du questionnaire médical chez des personnes malades pour emprunter en fin de vie. D'après Actélior, la suppression du questionnaire médical concernerait 52% des prêts en nombre, et 36% des montants prêtés aujourd'hui.
Très inquiet, un assureur alternatif estime que la suppression des questionnaires de santé risque de déstabiliser le marché en fragilisant une concurrence structurellement moins apte à absorber ce risque supplémentaire. « En prétendant améliorer l'accès à la propriété de quelques milliers de personnes en risque aggravé de santé, la loi entraînerait en réalité à terme une hausse des tarifs d'assurance pour tous les emprunteurs, avec une incidence bien plus forte sur l'accès au crédit de nombreux ménages. Elle mettrait également définitivement fin à la concurrence des banques par des acteurs alternatifs, reconstituant un monopole bancaire et une libre fixation des prix de l'assurance », explique-t-il.
Des garanties dégradées ?
Aux yeux de cet assureur alternatif, « certains bancassureurs ou assureurs pourraient vouloir juguler l'effet de l'antisélection en excluant les suites et conséquences des problèmes de santé antérieurs à la date d'effet de l'assurance, comme c'est le cas le cas aujourd'hui pour ce qui n'est pas déclaré aux questionnaires de santé. Le risque d'une dégradation de garanties est donc trop important pour ne pas être soulevé et anticipé. »
Daniel Gremillet, rapporteur pour le Sénat de cette réforme et qui a milité pour la suppression du questionnaire de santé, n'est pas de cet avis : « Cette suppression n'entraînera pas de hausse des tarifs pour les assurés car le risque réputationnel incitera les assureurs à ne pas entamer une spirale haussière des prix. »
Il faudra donc attendre la mise en œuvre de la réforme pour voir qui dit vrai. Dans tous les cas, selon la loi le comité consultatif du secteur financier sera chargé d'évaluer l'impact de cette réforme dans un délai de 2 ans. Ce qui permettra ensuite de pouvoir l'ajuster si nécessaire. Le chantier de la réforme de l'assurance emprunteur n'est peut-être pas terminé.
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